Les prisons dans les pays occupés, l'exemple de la France
A partir de 1940, les allemands réquisitionnent des prisons ou des quartiers de prisons existantes pour enfermer leurs prisonniers. Par exemple, en Région Parisienne, la prison du Cherche-Midi est entièrement sous contrôle des Allemands, celle de Fresnes aussi à partir de 1943. Mais, la Maison d’Arrêt de la Santé ainsi que les Maisons Centrales de Melun et de Poissy ont leur quartier allemand. Certaines prisons restent cependant entièrement sous le contrôle des autorités françaises comme la prison de la Roquette. Parfois, les allemands ont choisi d'installer leurs prisons dans de grandes maisons de particuliers.
Les hommes et les femmes qui sont incarcérés dans ces prisons ont été condamnés suivant leur délit ou leur crime :
soit par la justice ordinaire française, donc par un tribunal civil français,
soit à la suite d'une mesure d'internement administratif,
soit par des tribunaux spéciaux de Vichy, soit par les tribunaux militaires allemands.
Désormais, dans les prisons, en plus des prisonniers de droit commun français, on trouve aussi des prisonniers de guerre, des prisonniers politiques, des résistants et des otages..., c'est à dire toutes personnes perturbant le bon fonctionnement de l’Occupation.
La prison de Montluc
Réquisitionnée par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale, des milliers de détenus dont Jean Moulin, y ont transité entre 1943 et 1944 avant d'être déportés vers l'Allemagne. Construite en 1921, la prison Montluc, déclarée insalubre en 1932 est fermée. Elle retrouve son statut de prison militaire au début de la guerre, en 1939, sous Vichy qui a besoin de prisons pour enfermer les indésirables. Après l'invasion par les allemands de la Zone Sud en novembre 1942, l'établissement est réquisitionné par les Allemands et placé au mois de janvier 1943 sous le contrôle de la Wehrmacht. Jusqu’en 24 août 1944, date de sa libération.
Sa constitution
La prison est composée de 122 cellules individuelles et d’un pavillon de détention pour les officiers. Sa capacité totale est de 127 détenus. Elle est divisée en deux grandes parties :
- La première, administrative, se compose du greffe, des cuisines et des espaces techniques et administratifs.
- La seconde, au sud du bâtiment, comporte le réfectoire, les douches, les cours de promenades et les ateliers.
Au fil des années, tous les espaces de la prison sont progressivement transformés en cellules: les douches, les toilettes et les ateliers. Une baraque en bois, appelée par la suite « baraque aux Juifs » est même utilisée afin d’enfermer en majorité les hommes juifs de plus de 15 ans.Les prisonniers sont ballotés entre les différents lieux dans l'enceinte de la prison : cellules, réfectoire des hommes ou des femmes, ateliers, magasin, parloir, baraque, cave. Ils sont aussi souvent conduits en fourgon cellulaire , dans un premier temps de la prison à l'Hôtel Terminus, près de la gare de Perrache, puis un peu plus tard, de la prison à l’École du Service de Santé Militaire, 14 avenue Berthelot, pour y subir les interrogatoires des agents de la Sipo-SD. Ce service de la Gestapo, qui s'occupe de la répression des crimes et des délits politiques, est dirigé par Klaus Barbie. Surnommé «le boucher de Lyon», il est dépeint comme une brute toujours prête à «cogner», pour soutirer les aveux des résistants et des Juifs passés entre ses mains. Ce service sous ses ordres utilise la torture pour obtenir des aveux.
Les conditions de vie
On estime à quelque 7731 le nombre de détenus juifs, résistants et otages passés par Montluc dans des conditions de détention effroyables. Ils sont tenaillés par la faim, le froid ou la chaleur, la promiscuité et les poux :
La ration de nourriture est très faible.
Ils sont jusqu’à huit ou dix personnes dans une cellule de 4 m² sans chauffage et avec très peu de lumière de jour.
La peur est permanente : peur de la torture, peur de la déportation, peur d’être emmené pour être fusillé sans explication.
Le manque d’hygiène est terrible. les insectes prolifèrent dans la prison
Cependant, la condition des Juifs, dans la baraque aux Juifs, est encore plus difficile car la promiscuité et le nombre de détenus est encore plus élevé. Ils sont regroupés dans une structure en bois qui a pu abriter jusqu’à 250 personnes en même temps, voire plus.
Les prisonniers ne peuvent pas recevoir ou de faire parvenir des nouvelles à leurs familles, les parloirs étant interdits et rien ne sortant de la prison.
A la fin de la prison...
A la fin de leur emprisonnement, les détenus ont souvent été déportés. Mais, certains détenus ont été sauvagement assassinés, victimes à partir de l'été 1943 de la sentence expéditive d'un tribunal militaire qui les envoie au peloton d'exécution, soit sur le stand de tir du terrain militaire de la Doua, à Villeurbanne (aujourd’hui nécropole nationale), soit à l’intérieur même de la prison, sur le chemin de ronde à un emplacement désormais appelé "le Mur des fusillés". D'autres sont massacrés à titre de représailles pour servir d'exemple, durant l'été 1944.
Un détenu célèbre : Jean Moulin
Nommé préfet en mars 1937, il est le plus jeune préfet de France. Lorsque la guerre éclate, il veut rejoindre les troupes. Mais, il est maintenu en affectation spéciale à Chartres où il fait face à l'exode de la population.
Le 17 juin 1940, il reçoit alors les premières unités allemandes. Les autorités allemandes veulent lui faire signer une déclaration accusant des unités de tirailleurs africains d'avoir commis des atrocités envers des civils à Saint-Georges-sur-Eure. Alors qu'en réalité, ils ont été victimes des bombardements allemands. Il est maltraité et enfermé parce qu'il refuse de signer. Pour échapper à ses bourreaux, il se tranche la gorge. Soigné in extremis par les Allemands, il reprend son poste avant d'être révoqué par Vichy début novembre.
Il part, alors, pour la Zone Sud et prend contact avec les principaux mouvements de Résistance de Zone Sud. En septembre 1941, à Londres, il est reçu par le Général de Gaulle. Le chef des Français Libres le renvoie, ensuite, en métropole avec pour mission d'unir les mouvements de Résistance. Il doit également créer une Armée Secrète.
Dans le but d'organiser rapidement la relève à la tête de l'Armée Secrète qui vient d'être décapitée par l'arrestation à Paris du général Delestraint, Moulin convoque les responsables de la Résistance le 21 juin 1943 à Caluire, dans la banlieue de Lyon, chez le Docteur Dugoujon. A la suite d'une dénonciation, la police de sécurité allemande (SIPO-SD) conduite par Klaus Barbie intervient. Tous sont arrêtés et emmenés à la prison du Fort Montluc.
Interrogé par Barbie qui l'identifie après deux ou trois jours, Jean Moulin ne dit rien. Il est transféré début juillet avenue Foch à Paris puis dans une villa de Neuilly, où la Gestapo avait coutume "d'interroger" des personnalités importantes. Son état de santé est désespéré suite à ces interrogatoires. C'est vraisemblablement pour tenter de le soigner et de le conserver comme otage qu'il est transféré en Allemagne. Dans le train, quelque part entre Metz et Francfort, alors qu'il n'a déjà plus figure humaine, qu'il meurt le 8 juillet 1943.
Sa sœur témoigne de son calvaire par ces mots : « Bafoué, sauvagement frappé, la tête en sang, les organes éclatés, il atteint les limites de la souffrance humaine, sans jamais trahir un seul secret, lui qui les savait tous. » Antimémoires : Le Miroir des limbes, volume I (1976), André Malraux